E. Wonyu : « Le bilinguisme est une chance, il nous faut une véritable

Dr Emmanuel Wonyu, universitaire ayant occupé de hautes fonctions dans l’administration publique du Cameroun ces 20 dernières années, décrypte, dans ce troisième volet de l’interview accordée à la Crtv, le vivre ensemble dans la société camerounaise actuelle, et partage des esquisses de solutions pour mieux exploiter le multiculturalisme du pays.

 

Qu’entend-on par « vivre-ensemble » ?

Le vivre-ensemble est une notion qu’on entend de plus en plus, depuis que le monde est devenu un village planétaire. C’est un concept à la mode sur la scène internationale. On se rend bien compte aujourd’hui que dans beaucoup de pays, les identités multiples n’ont pas toujours réussi à cohabiter facilement.

 

Comment vivre ensemble dans une société multiculturelle ?

Dr Wonyu : La société camerounaise est multiculturelle. L’idée de départ des pères fondateurs était de bâtir une nation camerounaise où les particularismes sont transcendés au fil du temps pour construire une identité nationale camerounaise. Voire, passer de l’unité nationale à l’intégration nationale. Il n’en est rien aujourd’hui, et ça reste un « travail de Sysiphe ». On doit le dire, c’est le jeu et les combats politiques sur le terrain qui ont exacerbé cette question de multiculturalisme. D’où le tribalisme de plus en plus énoncé ces derniers temps dans le discours et les pratiques médiatico – politiques.

On l’a vu en 1992, et on vient de le vivre en 2018 avec l’instrumentalisation de la politique qui est pourtant latente entre deux périodes électorales. Le multiculturalisme a mal à son âme, à son essence. C’est la raison pour laquelle, prenant ce constat au sérieux, le Chef de l’Etat a créé la Commission Nationale pour la Promotion du Bilinguisme et du Multiculturalisme. Si des citoyens ne se reconnaissent pas dans la République, ni dans celui qui les représente, il y a là un vrai problème pour le vivre-ensemble. Le Cameroun compte environ 250 ethnies. Je pense que si chaque groupe linguistique réussit à se sentir représenté dans les grandes instances de décision, ce sera un grand effort de fait dans la gestion républicaine de l’Etat.

 

Dans le cas du Cameroun, comment mieux construire la cohabitation pluri-identitaire ?

Dr Wonyu : Il faudrait déjà apprendre à ne plus utiliser ces petits mots qui font mal. Traiter quelqu’un de « bamenda », appeler les Bassa « papier timbré »… Toutes ces stigmatisations de base qui n’ont l’air de rien, deviennent des façons de voir et de se représenter l’autre qui ne sont pas souvent justes. Avant et après les élections présidentielles, il y a une montée violente du tribalisme surtout dans les réseaux sociaux et les concepts comme la b à s ou les sardinards et des analyses sur certaines tribus surtout dans les réseaux sociaux et le discours mediatico politique en tant boucs émissaires de nos malheurs et nos peurs en témoignent à suffisance.

Je pense que ce n’est pas qu’une forte crispation identitaire. C’est un coup de canif au vivre ensemble et au pacte social qui nous unit, et qui risque de laisser des traces durables dans notre cohabitation au quotidien comme communauté nationale. La crise a ceci de bien qu’elle permet soit de sombrer, soit de revoir les choses en face et de changer de façon de faire. La cohabitation de cultures est une richesse, il faut juste qu’on apprenne à se tolérer, à s’accepter, à prendre le meilleur des autres au lieu de ne voir que leur mauvais côté. Il faut également que la République soit exemplaire, juste et équitable, et pense à tous ses enfants, en protégeant aussi les minorités. La minorité ici c’est, entre autres, la communauté anglophone (20% de la population totale). Mais c’est une minorité qui a une histoire particulière ds la République et qui nécessite que l’on s’arrête un instant lors de ce dialogue pour interroger et s’interroger sur les tenants et les aboutissants de leurs griefs et de la tentation séparatiste qui les gagne. Je pense qu’en initiant cette réunion, le Chef de l’Etat souhaite que les anglophones écoutent ce que les francophones pensent d’eux, qu’ils nous disent ce qu’ils pensent de nous, et qu’ensemble on répare les dégâts et on refonde nos relations en tant que camerounais d’abord sur des bases nouvelles et plus consensuelles. Mais nos frères anglophones doivent aussi savoir et garder en esprit lors de ce grand dialogue national qu’ils ne sont pas des camerounais à part, et qu’ils n’ont pas le monopole de la mémoire des morts, des victimes et de la souffrance sur le chemin de la construction nationale ; sinon que diront les bassas , les bamilekes et autres nationalistes qui ont payé un lourd tribut dans la période post indépendance, mais aussi l’Extrême-nord avec boko haram?

 

Passer du bilinguisme institutionnel au bilinguisme social est-il une option ?

Dr Wonyu : Oui, il y a des efforts à faire. Nous avons certainement raté quelque chose. Si depuis des années que nous sommes ensemble, dès la maternelle nous avions enseigné le bilinguisme à nos enfants, nous serions aujourd’hui, dans un monde multiculturel dominé par le français et l’anglais, un pays recherché de partout à l’instar du Canada. Avec des générations d’élites et de cadres disputées à l’international parce que parfaitement bilingues …

On a très souvent entendu dire de la bouche de certaines autorités, que c’est le Cameroun qui est bilingue et non le camerounais. On a biaisé avec notre multiculturalisme qui est pourtant un héritage historique et un atout majeur dans un monde devenu un village global et où ces valeurs sont partagées. Il faut que cette façon de faire change radicalement après ce grand dialogue. Nos dirigeants et élites au moins devraient pouvoir désormais s’exprimer dans les deux langues nationales, et être encouragés par des politiques publiques innovantes à connaître et aimer d’abord le Cameroun avant de connaître et de fantasmer le monde des autres en se comportant dans notre pays comme si on était juste de passage.

Il faut que cette façon de faire change après ce Grand dialogue en mettant l’accent sur les aspects positifs du bilinguisme, du multiculturalisme du vivre ensemble et en cultivant au delà des discours ce patriotisme vrai et ce sens de l’intérêt général qui ont foutu le camp dans notre pays. L’émergence dont on parle est au prix de la résurrection de ces valeurs si chères aux pères de notre indépendance et aux combats qu’ils ont mené pour que ce pays soit! Le Président  Paul Biya ne se demandait-il pas au début de son magistère à la tête de l’État « quel Cameroun nous voulons laisser à nos enfants? »: la question se repose plus que jamais en ce moment critique de notre histoire politique où nos enfants regardent et où tout le peuple sera témoin de la capacité de nos élites qui seront à ce tribunal de l’histoire, à voir notre destin commun futur en grand.

 

Entretien mené par Vanessa Onana

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