Manu Dibango, l’homme au saxo

Par Alain Belibi

Ma main tremble au moment d’écrire ces trois mots qui tiennent du surréalisme: Manu Dibango est mort! La feuille blanche sous le stylo semble refuser obstinément de se prêter à un exercice relevant de la fiction: poser le point final d’une vie qui fut si pleine de vie qu’elle faisait corps avec elle.

On en était arrivé à se convaincre que cette vie-là, parce qu’elle était différente d’une existence qui passe du jour au lendemain, était faite pour l’éternité. Mais voici que le coronavirus nous ramène brutalement sur terre , nous qui étions confortablement installés sur notre nuage musical. Honte à lui !
Mais il ne sera pas dit que ce tueur en série est venu à bout d’une légende qui , hier encore, emplissait l’air des notes mélodieuses du soixantième anniversaire d’une carrière menée tambour battant.

Alors , disons-le de toute la force de nos poumons: Manu Dibango est vivant! Imagine-t-on le “Soir au village ” se transforme en nuit ? Est-il possible que la gracieuse “Bintou” s’éclipse ? Comment croire que l’épopée conquérante de “Soul makossa” lancée comme un raid sur l’Amérique au debut des années 70 puisse sortir des esprits ? Ou encore que les vivats de l’Apollo ou de l’Olympia s’arrêtent sans susciter l’écho des scènes de Brasilia, de Yaoundé ou de Johannesburg? Non, le saxophone balladeur de Monsieur Dibango ne saurait arrêter sa course. Ses doigts sur le piano ou ses mains courant sur le vibraphone resteront davantage qu’un souvenir: une présence.

Le bilan de cette carrière multiforme n’est décidément pas possible. Tout au plus dira-t-on que la musique universelle lui doit d’avoir montré la voie de la world music et de l’afro jazz. Que le makossa lui doit d’avoir franchi les portes des places mythiques du show business. Que le reggae s’est enrichi de deux rayons du soleil africain (“Ambassador” et “Gone Clear”). Que l’afro beat a reçu de lui un lumineux coup de pouce ( ” Home made”).

Et le Cameroun dans tout ça? Chahuteur comme il sait l’être. Ce n’est certainement pas un hasard que l’un des tout derniers projets de Manu Dibango, la célébration de ses 60 ans de musique sur nos scènes de Yaoundé et Douala, se soit évanoui dans des querelles de clocher. Cela n’empêchera pas les larmes de crocodile de ruisseler.

Alain Belibi

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